La Guerre Froide est-elle négligée dans le jeu vidéo ?

Deux hyperpuissances qui se livrent à une compétition permanente dans tous les domaines et sur tous les continents, une course aux armements délirante, des conflits majeurs évités de justesse, et d’autres, plus périphériques, qui deviennent des points de fixation… la Guerre Froide regorge de scénarios qui ont été largement exploités par le cinéma et la littérature. Dans le jeu vidéo en revanche, le constat est bien maigre.

“Theatre Europe”, wargame développé Personal Software Services en 1985 !

 

Quelques périodes historiques et la solution de facilité

On ne prend pas trop de risques en affirmant que le jeu vidéo de guerre se concentre essentiellement sur trois périodes historiques :

  • La Seconde guerre mondiale (dans une vision qui reste, d’ailleurs, très cinématographique et largement inspiré par les films classiques des années 60) ;
  • La guerre « moderne» qui, dans un monde marqué par le terrorisme, fait la part belle aux forces spéciales et aux décors moyen-orientaux ;
  • Les guerres futuristes où tout est possible, mais où on retrouve assez étrangement des gameplay et des armes très actuels.

Dans tous les cas, qu’il s’agisse de nazis, de terroristes ou d’aliens, l’ennemi est assez fédérateur, et permet aux éditeurs AAA de ne pas prendre aucun risque scénaristique ou commercial, même si c’est au prix d’une décrédibilisation de licences auparavant matures et authentiques, et en se coupant peu à peu des joueurs de plus de 12 ans…

Call of Duty Black Ops (2020)

 

La Guerre froide, la grande oubliée

C’est peut-être en effet pour cette raison que la Guerre Froide est peu présente dans le jeu vidéo, surtout depuis qu’il est mondialisé… Il faut une certaine ambition pour poser sa trame scénaristique dans un monde où rien n’est ni blanc ni noir, et où tout est jeu d’ombres.

 Il y a aussi une autre raison, peut-être plus simple : la 3ème Guerre Mondiale n’a jamais eu lieu, et on ne saura jamais comment elle aurait pu se dérouler, sauf dans le mémorable Operation Flashpoint (mais c’était il y a 20 ans déjà).

Et pourtant, elle offre des perspectives fantastiques sur plusieurs points :

  • Le retour du techno-thriller : la Guerre Froide, c’est avant tout un affrontement idéologique où l’espionnage et la technologie ont joué un rôle majeur. Tom Clancy, John Le Carré et des dizaines d’autres auteurs en ont tiré des histoires extraordinaires, qui pourraient sans nul doute être exploitées…
  • Les guerres par proxy : si les deux blocs ne se sont jamais affrontés directement, ils se sont en revanche livré une guerre sans merci sur des conflits périphériques, du Vietnam à l’Angola, en passant par les jungles d’Amérique du Sud. Seul les Call of Duty Black Ops se sont timidement risqués sur ce terrain, mais sans vraiment y porter une vraie attention historique…
  • Les fantômes de la Guerre Froide : les projets fous de la période alimentent encore souvent le cinéma et la littérature, des anciennes bases secrètes aux projets d’armes démentielles comme la Guerre des Etoiles ou les Ekranoplanes. Là encore, le jeu vidéo est en retard, et des recherches documentaires et historiques plus poussées en amont de la production pourraient sans doute y remédier.
“83” de AntiMatter Games, est un FPS qui se catonnera aux grands affrontements multi-joueurs.

 

Une lueur d’espoir venue du jeu indé…

On le dit souvent sur TAISSON, mais les jeux les plus matures scénaristiquement sont aujourd’hui à chercher du côté des petits studios.

En l’espèce, nous attribuerons une mention spéciale au petit mais talentueux studio français Eugen Systems, qui lance dernier épisode de sa série à succès “Wargames”, des jeux de stratégie plutôt exigeants. Le dernier en date, intitulé Warno (pour “Warning Order” dans le langage OTAN) livre une ode aux années 1980, sur un fond musical très synthwave.

WARNO
WARNO

Son choix de placer le jeu à la toute fin de la Guerre Froide est, à notre sens, particulièrement judicieux. A cette époque, les deux blocs sont encore capables de mobiliser troupes et matériels en nombre considérable, et peuvent donc considérer des affrontements massifs. Mais les années 80 sont aussi celles où des armes dévastatrices comme le A-10 sont enfin associées des technologies de rupture, comme l’électronique et les missiles, qui atteignent alors leur pleine maturité.

Dans le même registre du STR, “Régiments”, édité par MicroProse, ou “Broken Arrow” chez Slitherine, tenteront aussi de réinvestir les théâtres virtuels européens en 2022.

Régiments
Régiments

 

Cette capacité à allier technologie, Real Politik et guerres clandestines est unique, et ne peut pas être calquée sur des scénarii « modernes », dans un monde où les réseaux sociaux et les systèmes automatisés nous ont fait rentrer dans une ère nouvelle. Espérons donc que notre appel soit entendu et que d’autres jeux, en particulier solo, osent se saisir de ce fabuleux objet narratif qu’est la Guerre Froide.

 

Les ballons militaires, d’hier à aujourd’hui

De nos jours, on pourrait se dire que les ballons captifs ou les dirigeables sont des engins volants d’un autre temps, et qu’ils ne sont plus en mesure de concurrencer avions, hélicoptères ou drones. Pourtant, avec l’arrivée de nouvelles technologies, les « plus légers que l’air » ont fait, ces dernières années, un retour en force dans les domaines de la sécurité et de la défense.

 

Un usage intensif pendant le 19e siècle

Le premier usage militaire attesté d’un aérostat remonte à la bataille de Fleurus, en 1794, lorsque les armées révolutionnaires françaises font usage d’un ballon captif avec deux observateurs pour repérer les mouvements des troupes coalisées. C’est un succès, et c’est d’ailleurs un emploi qui est repris avec beaucoup de fidélité dans la très bonne série de STR Cossaks.

On peut utiliser des ballons pour découvrir le terrain dans la série Cossaks. Une vérité historique.

Par la suite, les montgolfières vont servir pour l’observation et le guidage d’artillerie dans plusieurs conflits du 19ème siècle, et notamment pendant la guerre de Sécession, qui en fait un usage intensif. De manière anecdotique, elles serviront aussi à établir une sorte de pont aérien pour une partie du gouvernement français en 1871, lorsqu’il s’agira d’évacuer Paris face à l’encerclement des Prussiens !

Pendant la Première Guerre Mondiale, les ballons servent encore aux réglages pour l’artillerie au début du conflit, mais le passage à la guerre de tranchées et le développement de l’aviation les rendent vulnérables et obsolètes. Pendant la Seconde Guerre Mondiale, les Alliés les utiliseront uniquement comme barrages aux raids aériens de l’Axe, comme sur les plages du débarquement.

 

La brève ère des Zeppelin

Depuis la fin du 19e siècle, en Allemagne, le comte Ferdinand von Zeppelin travaille sur un projet de ballon rigide et dirigeable par l’ajout de moteurs et de gouvernails. Depuis ses usines situées sur le lac de Constance, sa société produit, au fil des années, des monstres d’ingénierie et d’acier qui vont durablement marquer l’imaginaire collectif, notamment avec la fameuse séquence d’Indiana Jones et la dernière croisade.

Pour autant, ces engins n’ont eu, au final et un peu à la manière des hydravions de la même époque, qu’une période d’utilisation très brève. Si celle-ci prend tragiquement fin avec la tragédie du Hindenburg en 1937, ce drame a pourtant été précédé de nombreux autres, car les dirigeables sont difficiles à manœuvrer, instables et surtout extrêmement inflammables …

Les Zeppelin ont aussi eu un usage militaire : durant la Première Guerre Mondiale, ils volent de nuit pour éviter la chasse et les canons anti-aériens, et mènent des raids contre les grandes villes ennemies, y compris Paris et Londres. Si les bombardements particulièrement rustiques (les opérateurs percutent des obus avant de les lâcher à la main depuis la nacelle) ont un impact stratégique extrêmement limité, l’effet psychologique sur les populations est, lui, démultiplié.

Ils ont inspiré une séquence particulièrement réussie de Battlefield 1, mais aussi, pour les plus anciens, le remarqué Crimson Skies en 2000!

 

Les ballons modernes

Pour autant, les ballons n’ont pas disparu du ciel des théâtres de guerre. Après quelques expérimentations hasardeuses dans la récupération de personnels en milieu hostile durant la Guerre Froide (comme le système de récupération surface-air Fulton, vu dans Metal Gear Solid ou dans The Dark Knight), ils font aujourd’hui un retour remarqué.

Des ballons captifs ont ainsi été déployés à des fins de surveillance et d’alerte avancée au-dessus de Kaboul mais, aussi, plus récemment, pour protéger des bases avancées (FOB) au Sahel ou au Levant. Des pays comme la Chine, Israël ou le Brésil (notamment pour la sécurisation des JO de Rio et de la Coupe du Monde) en font un usage intensif, et ils pourraient bien devenir une solution efficace contre les drones ou les munitions rodeuses.

En effet, en plus d’être bardés de capteurs et semi-automatisés, les ballons actuels sont très résistants aux conditions météo défavorables (par l’utilisation de calculateurs et de stabilisateurs automatiques), et capables d’encaisser de nombreux projectiles grâce à leurs revêtements bulletproof ou autoréparants. De plus, ils sont remplis de gaz inertes (plus de risque d’incendie) qui assurent une portabilité même en cas de pertes sévères.

Le ballon captif de la société CNIM Air Space.

Les dirigeables militaires sont eux aussi de retour : pour des projets de transport de charges lourdes au-dessus de territoires peu ou pas accessibles par la route et pour éviter d’avoir recours aux couteux transports aériens lourds, mais surtout dans le cadre de projets de pseudo-satellites.

En effet, quelques pays, dont principalement la France, étudient l’emploi de ballons stratosphériques dirigeables autonomes de la famille des HAPS (High Altitude Platform System). Positionnés à 20 km d’altitude, ils pourraient offrir une couverture régionale en communication, imagerie ou radar digne d’un satellite. Les premiers vols sont prévus en 2023.

https://www.youtube.com/watch?v=nvmkendJI2Y

 

Ballons captifs ou dirigeables font résolument partie de la Pop-culture et sont très présents dans notre imaginaire.  Pour autant, ils sont souvent employés dans des scenarii uchroniques ou peu réalistes, alors que leurs versions modernes ouvrent de larges perspectives en terme d’écriture ou de gameplay.

Les Stay-behind, soldats perdus de la Guerre Froide

Depuis environ 25 ans, séries et films, mais aussi jeux vidéo regorgent de cellules clandestines et d’agents dormants, activés au moment d’une crise ou d’une situation exceptionnelle. On pense bien évidemment à Jason Bourne, mais aussi à Sam Fischer et sa « cellule dissidente » (ou Splinter Cell dans le texte) …

Pourtant, c’est bien en Europe, et au cœur de la Guerre Froide, que s’est déroulé ce qui est sans doute le projet le plus abouti dans ce domaine, même s’il a connu de nombreuses dérives : le programme « Stay Behind ».

The deployment and strength of forces as of 1987.

 

Une situation critique

Dès le début de la Guerre Froide, les stratèges de l’OTAN comprennent que le rapport de forces est très largement défavorable aux Occidentaux en Europe de l’ouest.

La peur des « hordes de chars » du Pacte de Varsovie déferlant sur les plaines allemandes, puis françaises, est prise très au sérieux, et de nombreux scénarii sont élaborés pour tenter de rééquilibrer, un tant soit peu, la balance.

La situation est d’autant plus critique que, dans les années 50 et 60, le Parti Communiste est extrêmement puissant dans plusieurs pays européens. Il est même le premier parti, en termes de voix, en Italie et en France, qui sont d’ailleurs considérés comme les « maillons faibles » de l’Alliance Atlantique, car susceptibles de basculer, par les urnes, dans le camp de l’URSS.

C’est donc assez rapidement, et sous l’égide de la CIA, que se met en place le Coordination and Planning Committee (CPC), une sorte de « club » des services secrets européens, destiné à imaginer la réponse clandestine à une probable invasion russe…

 

L’héritage de la Seconde Guerre Mondiale

Le CPC n’a pas à aller chercher bien loin des idées pour résister à un envahisseur…

Moins d’une décennie plus tôt, les mouvements de résistance ont su prouver leur efficacité en matière de renseignement, de logistique, et en fournissant un appui essentiel aux Alliés, notamment au moment du D-Day.

L’idée est donc de créer des unités de résistance, capable de « rester derrière » (d’où leur nom) les lignes ennemies après la victoire de l’URSS et de ses satellites, avec les mêmes missions (et parfois les mêmes personnes) que contre les Nazis.

De la RFA aux Pays-Bas, de la Belgique au Royaume-Uni, on commence donc à recruter, dans le plus grand secret, de petites cellules qui sont ensuite formées au sabotage, à l’aménagement de pistes sommaires et de zones de parachutage, à l’appui aux forces spéciales ou aux opérations psychologiques. L’instruction à la cryptographique ou au contre-espionnage est, lui, aussi, extrêmement poussé.

Enfin, sont également aménagées, à travers toute l’Europe, des dizaines de planques et surtout de caches d’armes et d’explosifs…

 

Les dérives d’un système trop opaque

En Europe, au fil des ans, le spectre d’une invasion russe s’éloigne… Conscients que la Guerre Froide le restera, plusieurs membres des Stay-Behind commencent à trouver le temps long et décident d’utiliser les techniques et les moyens mis à leur disposition.

Plusieurs d’entre eux versent dans la criminalité de droit commun, d’autres dans le mercenariat ou le trafic d’armes. En France, une partie des Stay Behind se politise et bascule, au moment de la Guerre d’Algérie, d’abord dans l’assassinat ciblé, puis dans l’OAS.

Mais c’est sans doute en Italie, pour les raisons citées plus haut, que se produit la dérive la plus grave (et la mieux documentée) du programme Stay Behind. Chapeauté par la CIA, le projet Gladio (« Glaive ») verra les services secrets italiens récupérer une grande partie de ces unités clandestines, et les utiliser dans une guerre secrète contre le terrorisme de gauche, et notamment les Brigades Rouges.

Rendu public en 1990, le programme Stay Behind est sans doute à l’origine de la plupart des représentations fantasmées qui en sont faites depuis le milieu des années 90. Pour autant, cette histoire n’a, en elle-même, jamais donné lieu à un véritable scénario, historiquement et politiquement cohérent. C’est peut-être au jeu vidéo à s’en emparer, avec un projet ambitieux et une écriture mature…