Deux hyperpuissances qui se livrent à une compétition permanente dans tous les domaines et sur tous les continents, une course aux armements délirante, des conflits majeurs évités de justesse, et d’autres, plus périphériques, qui deviennent des points de fixation… la Guerre Froide regorge de scénarios qui ont été largement exploités par le cinéma et la littérature. Dans le jeu vidéo en revanche, le constat est bien maigre.
Quelques périodes historiques et la solution de facilité
On ne prend pas trop de risques en affirmant que le jeu vidéo de guerre se concentre essentiellement sur trois périodes historiques :
- La Seconde guerre mondiale (dans une vision qui reste, d’ailleurs, très cinématographique et largement inspiré par les films classiques des années 60) ;
- La guerre « moderne» qui, dans un monde marqué par le terrorisme, fait la part belle aux forces spéciales et aux décors moyen-orientaux ;
- Les guerres futuristes où tout est possible, mais où on retrouve assez étrangement des gameplay et des armes très actuels.
Dans tous les cas, qu’il s’agisse de nazis, de terroristes ou d’aliens, l’ennemi est assez fédérateur, et permet aux éditeurs AAA de ne pas prendre aucun risque scénaristique ou commercial, même si c’est au prix d’une décrédibilisation de licences auparavant matures et authentiques, et en se coupant peu à peu des joueurs de plus de 12 ans…
La Guerre froide, la grande oubliée
C’est peut-être en effet pour cette raison que la Guerre Froide est peu présente dans le jeu vidéo, surtout depuis qu’il est mondialisé… Il faut une certaine ambition pour poser sa trame scénaristique dans un monde où rien n’est ni blanc ni noir, et où tout est jeu d’ombres.
Il y a aussi une autre raison, peut-être plus simple : la 3ème Guerre Mondiale n’a jamais eu lieu, et on ne saura jamais comment elle aurait pu se dérouler, sauf dans le mémorable Operation Flashpoint (mais c’était il y a 20 ans déjà).
Et pourtant, elle offre des perspectives fantastiques sur plusieurs points :
- Le retour du techno-thriller : la Guerre Froide, c’est avant tout un affrontement idéologique où l’espionnage et la technologie ont joué un rôle majeur. Tom Clancy, John Le Carré et des dizaines d’autres auteurs en ont tiré des histoires extraordinaires, qui pourraient sans nul doute être exploitées…
- Les guerres par proxy : si les deux blocs ne se sont jamais affrontés directement, ils se sont en revanche livré une guerre sans merci sur des conflits périphériques, du Vietnam à l’Angola, en passant par les jungles d’Amérique du Sud. Seul les Call of Duty Black Ops se sont timidement risqués sur ce terrain, mais sans vraiment y porter une vraie attention historique…
- Les fantômes de la Guerre Froide : les projets fous de la période alimentent encore souvent le cinéma et la littérature, des anciennes bases secrètes aux projets d’armes démentielles comme la Guerre des Etoiles ou les Ekranoplanes. Là encore, le jeu vidéo est en retard, et des recherches documentaires et historiques plus poussées en amont de la production pourraient sans doute y remédier.
Une lueur d’espoir venue du jeu indé…
On le dit souvent sur TAISSON, mais les jeux les plus matures scénaristiquement sont aujourd’hui à chercher du côté des petits studios.
En l’espèce, nous attribuerons une mention spéciale au petit mais talentueux studio français Eugen Systems, qui lance dernier épisode de sa série à succès “Wargames”, des jeux de stratégie plutôt exigeants. Le dernier en date, intitulé Warno (pour “Warning Order” dans le langage OTAN) livre une ode aux années 1980, sur un fond musical très synthwave.
Son choix de placer le jeu à la toute fin de la Guerre Froide est, à notre sens, particulièrement judicieux. A cette époque, les deux blocs sont encore capables de mobiliser troupes et matériels en nombre considérable, et peuvent donc considérer des affrontements massifs. Mais les années 80 sont aussi celles où des armes dévastatrices comme le A-10 sont enfin associées des technologies de rupture, comme l’électronique et les missiles, qui atteignent alors leur pleine maturité.
Dans le même registre du STR, “Régiments”, édité par MicroProse, ou “Broken Arrow” chez Slitherine, tenteront aussi de réinvestir les théâtres virtuels européens en 2022.
Cette capacité à allier technologie, Real Politik et guerres clandestines est unique, et ne peut pas être calquée sur des scénarii « modernes », dans un monde où les réseaux sociaux et les systèmes automatisés nous ont fait rentrer dans une ère nouvelle. Espérons donc que notre appel soit entendu et que d’autres jeux, en particulier solo, osent se saisir de ce fabuleux objet narratif qu’est la Guerre Froide.