Début mars 2022, le géant de l’armement BAE Systems a racheté pour 200 millions de dollars le studio spécialiste de la simulation militaire professionnelle Bohemia Interactive Simulations (BISim). Un mouvement qui nous montre que si le jeu vidéo s’est toujours nourri du fait militaire, l’inverse est aussi de plus en plus vrai.
Ci-dessus: une illustration du logiciel VBS4 de BISim.
La relation entre les armées et le jeu vidéo est très particulière (comme l’explique par exemple Alex). Elle diffère par exemple très largement du rapport des militaires au cinéma et se révèle être, au final, une histoire assez torturée de deux acteurs fascinés l’’un par l’autre, mais refusant souvent de se l’avouer.
Le jeu vidéo, un media puissant pour la communication des armées
Au début des années 2000, alors que le jeu vidéo devient un mass media, certaines armées s’y intéressent pourtant et espèrent toucher le grand public, principalement à des buts de recrutement.
On pense bien évidemment au célèbre et polémique America’s Army, un FPS free to play (et même l’un des premiers du genre) financé sur fonds propres par le Pentagone, et qui devient, dans un monde post 11-Septembre, véritable instrument de communication pour l’US Army.
De leur côté, les Russes ont plus récemment passé un partenariat avec World of Tanks pour des actions de marketing et aujourd’hui, dans plusieurs pays, les militaires lorgnent même du côté de l’e-sport ou du streaming pour approcher une génération totalement ancrée dans le monde numérique.
Simulations ou jeux ?
America’s Army n’est pas un exemple isolé. En 2004 sort Full Spectrum Warrior, un TPS tactique édité par THQ. Si le jeu propose de commander une Fire Team de l’infanterie américaine au milieu de villes qui ressemblent fortement à Bagdad, ce n’est pas un hasard : il est directement tiré d’un simulateur destiné à entrainer les chefs de section au combat urbain. L’éditeur a simplement pris la décision de simplifier sa formule afin de toucher le grand public.
La stratégie est inverse chez Bohemia Interactive Studios (BIS). Après que sa simulation militaire Opération Flashpoint: Cold War Crisis ait révolutionné le genre en 2001 avec un scénario particulièrement travaillé et un réalisme extrêmement poussé (succès critique et commercial prolongé ensuite avec la série Arma), le studio, conscient du potentiel sur le marché professionnel, sépare alors ses activités et crée une branche destinée à la simulation professionnelle.
Aujourd’hui, BISim, avec son Virtual Battlespace Systems, fournit ses services à plus de 60 pays, dont la France.
L’industrie à la recherche de réalisme
Si le succès de BISim justifie aujourd’hui son rachat par un géant de l’armement, c’est bien que ces derniers ont compris qu’il « manquait quelque chose » à leurs produits professionnels.
En effet, comment convaincre les jeunes soldats de s’impliquer dans logiciels professionnels, alors que le rendu visuel et l’ergonomie de ces simulateurs est à des années-lumière de ce qu’ils ont l’habitude de voir au quotidien sur leur TV4K ou même leur téléphone ? En termes de visuel, de rendu et de sensations, aucun programme professionnel ne rivalise avec l’immersion d’un Call of Duty, et aucun simulateur aéronautique n’arrive à la cheville de DCS World ou du dernier Flight Simulator, développé à Bordeaux par le studio Asobo.
Cette nécessité de rattraper le retard du réalisme est donc cruciale pour les professionnels, car le marché mondial des environnements de formation et de simulation militaires pourrait dépasser les 11 milliards USD par an. D’ailleurs, si BAE Systems et BISim ont commencé à travailler ensemble en 2019, c’était pour répondre à l’appel d’offre de l’US Marine Corps War Gaming and Analysis Center.
La tendance est donc à ce que les éditeurs de simulateurs, mais aussi de solutions de maintenance en réalité augmentée ou de “Command & Control”, cherchent à coopérer largement avec l’industrie du jeu vidéo pour gagner en réalisme mais aussi, par exemple, en ergonomie.